Une visiteuse inhabituelle. [PV Ninniane Et Isa]

Une jeune femme recouverte d'un manteau sombre chevauchait dans la forêt. Accompagnée d'une dame de compagnie et d'un seule garde, elle semblait peiner pour supporter même le lent trot de sa monture.

Et lorsqu'enfin elle distingua au loin le Temple de Warminster, la jeune femme mit pied à terre. D'un geste, elle signifia à son escorte de l'attendre ; et s'approcha du grand bâtiment, pas à pas.

Une grande mante de velours bleue dissimulait sa silhouette tout entière, et un voile de gaze de la même couleur cachait à moitié la pâleur de son visage encore enfantin. Une main sur son ventre, l'inconnue paraissait prise dans les affres de la maternité ; mais toute sa stature trahissait une incertitude, une hésitation, qui s'affirma plus encore au moment d'arriver aux portes du bâtiment hérétique.

Mais, après un instant d'arrêt, elle reprit pourtant son avancée ; et passa l'entrée, dissimulant plus encore son identité en baissant la tête.
Patiemment, la sombre silhouette s'assit sur une marche. elle attendait...

Une des prêtresses allaient sûrement bientôt arriver.

Il faisait beau en cette après-midi et Niniane avait autorisé les prêtresses et les jeunes novices à un peu de relâchement autour du lac sacré. Quant à elle, elle se reposait dans la fraîcheur de ses appartements. La naissance de ses enfants remontait à seulement quelques semaines et, dans l’agitation régnante, la représentante de la Déesse n’avait pas trouvé le temps de se reposer. Son corps et son esprit présentaient de lourdes marques de fatigues et elle profitait donc de l’absence d’office pour prendre un peu de repos.

Elle était étendue sur son lit, les deux nouveau-nés reposant à ses côtés. Elle ne dormait pas, mais la position de relaxation qu’elle avait adopté ainsi que les chants des novices dans les autres pièces du temple suffisaient à lui prodiguer le repos dont elle avait besoin.

Son repos fût vite interrompu par l’apparition d’une jeune novice aux cheveux blonds. La fillette ne devait pas avoir plus de six ou sept ans. Elle se présenta timidement à l’entrée des appartements, redoutant le fouet ou la colère de ses supérieurs. A sa vue, Niniane se redressa pour lui sourire et lui faire signe d’approcher. L’enfant lui glissa à l’oreille qu’elle avait aperçu une jeune femme drôlement vêtue à l’entrée du temple, lorsqu’elle s’était penchée sur les hauteurs. La grande prêtresse la rabroua gentiment, lui quémandant d’aller accueillir leur hôte.

L’enfant ne se fît pas prier. Elle salua, comme il se devait, sa supérieure et alla à la rencontre de la visiteuse. Elle la salua et prit sa main afin de la guider jusqu’à Niniane

La silhouette sombre soupira avec soulagement en voyant l'enfant arriver. Elle suivit docilement la fillette, regardant à travers la gazette de son voile la décoration du temple, avec distraction.
Elle n'aurait pas du venir. D'ailleurs sa dame de compagnie était contre ; mais elle avait choisi de ne pas l'écouter. Cette lubie lui était apparue dans la nuit, et dans l'instant, l'idée avait parut excellente.

Mais en passant la porte de la chambre de Ninniane, où celle-ci se reposait avec langueur, Isabelle de Mannach comprit en cet instant précis que contrarier les projets de Dieu pouvait se révéler... désastreux.

Oui, bien sur, elle souhaitait ardemment un fils ; et que sa grossesse quelque peu agitée se passe mieux. Elle avait entendu vanter les potions des guérisseuses du Temple, et leurs bienfaits presque miraculeux... et parfois des caprices lui venaient avec l'aisance - et la rapidité - d'un oiseau en vol.

Mais elle, elle, prise en flagrant délit d'impuissance par sa pire ennemie ! Quel scandale, quel honte !
La jeune épousée résolut brusquement de faire face. De camoufler sa honte et ses remords sous une morgue des plus insolentes. Elle était femme de haute naissance, elle était comtesse, elle était Mannach ! Et les Mannach n'étaient pas des pleutres.

D'un geste vif, Isabelle ôta son précieux capuchon ; et leva son menton dans une expression un peu (trop) hautaine, pour parler d'une voix vive, forte et claire :
- "Dame Ninniane ! Quel plaisir de vous voir !"

L’enfant qui avait guidé Isabelle jusqu’à l’intérieur du temple avança jusqu’à Niniane et glissa quelques mots dans le creux de son oreille. La grande prêtresse sourit et se redressa pour caresser la joue de la fillette. Puis, reportant son attention sur son hôte, elle lui confia un des nouveaux nés qu’elle avait au creux des bras et déposa l’autre délicatement dans son berceau.

La grande prêtresse observa Isabelle avec attention. Elle remarqua son visage voilé. Cela la fit sourire. Que craignait donc la prude jeune femme en ces lieux ? Qu’on l’accuse de sorcellerie pour avoir pénétré un temple païen ?

Niniane se redressa, rajustant sa tunique en prenant soin de nouer le ruban pourpre au dessus de sa poitrine. Puis, elle se saisit de son peigne en nacre et démêla sa longue et brune chevelure. Il n’était pas question de passer pour une souillon devant une comtesse. Et, certainement pas devant Isabelle de Mannach. Ceci fait, elle reposa le peigne et refit face à la jeune femme. Cette dernière devait trouver le temps long, mais peu importe.

Une fois son rituel achevé, la grande prêtresse détailla une nouvelle fois son invitée, cette fois avec plus d’insistance. Malgré les couleurs sombres de ses vêtements, le fait que la comtesse pût être enceinte n’échappa pas à la servante de la déesse. Ainsi, la jeune enfant accomplissait-elle avec obéissance ses devoirs de jeune épousée.

Son inspection accomplie, Niniane se décida enfin à s’adresser à elle :

« Madame, que me vaux l’honneur de votre présence en ce lieu Païen ? »

Elle avait volontairement insisté sur ce dernier terme car, il est vrai que sa présence ici l’intriguait. Que pouvait donc bien vouloir une telle chrétienne pour oser s’aventurer dans un lieu qui lui faisait tant peur ?

Pendant de longues minutes, la jeune fille ne laissa rien paraître de son agacement. Que cette ... femme ... la fasse attendre, passons, elle venait manifestement d'enfanter... Mais cette insolence !

C'était proprement insultant.

Isabelle se passa la main sur sa coiffe, s'attardant sur une mèche de ses cheveux châtains, avec nervosité.
Elle forma un sourire hypocrite sur ses lèvres roses, pendant un instant, puis abandonna toute tentative de paraître. Toute sa tentative d'anonymat était perdue de toute façon ! Seul comptait le but de sa visite...
La comtesse de Mannach de Kadoudal s'assit sans y avoir été invitée, son regard tendant vers une certaine confusion, en même temps qu'une forte résolution s'affichait dans ses yeux clairs.

-"Dame Niniane, j'ai entendu certaines rumeurs... et.. ainsi que notre Père Jésus-Christ a dit : Aide-toi, le Ciel t'aidera... je suis venue ici dans un but précis. Ainsi, je ne tergiverserai pas sur les motifs de ma visite."

La jeune femme parlait d'une voix ferme et rapide, ses lèvres serrées l'une contre l'autre.

-"Je veux que mon enfant soit un mâle. Être sûre de mener ma grossesse à bien, et de donner le jour à un enfant bien constitué. Je sais que vous avez des filtres pour m'y aider... et je suis prête à les payer, bien sur."

Elle avait parlé d'une traite, fixant son interlocutrice droit dans les yeux... Non, Isabelle n'avait pas peur. Elle savait ce qu'elle voulait dans la vie, et elle l'obtiendrait.

Et Niniane remarqua combien la jeune femme était nerveuse. Elle avait également deviné combien son retard l’avait agacé. Ce dernier détail la fît sourire mais, elle n’en laissa rien paraître. Elle ne dit mot lorsque la comtesse de Mannach prit place sans y avoir été invitée. Après tout, elle était enceinte ! On pouvait aisément lui passer ce caprice. Elle remarqua l’intensité de ses yeux, à la fois haineux et confus. Puis, elle la laissa s’exprimer.

Une fois que la comtesse eût terminé, la grande prêtresse se retint de rire. Isabelle désirait l’aide de la grande déesse, un être qu’elle rejetait, pour donner naissance à un garçon. La porte-parole de la déesse se leva et commença à fouiller dans ses besaces. Oh, si elle s’écoutait, elle donnerait sans doute à son hôte de mauvais ingrédients. Mais, c’eût été une réaction puérile et malsaine. Elle fouilla encore et se saisit de ce qu’elle recherchait, puis elle revint vers Isabelle et lui tendit la petite besace.

« Ceci devrait vous aider à donner naissance à un fort beau garçon ! »

Elle n’en avait pas eu besoin. Elle avait préféré faire la nature qui l’avait fort bien récompensée en lui offrant, à la fois, un fils et une fille.
Elle regarda la comtesse, guettant ses réactions.

D'une main ferme, la jeune fille reçut l'élixir qui devait lui octroyer un garçon.
Fixant la fiole pendant un instant, ses émotions fluctuantes paraissaient se mélanger, s'entremêler, livre vivant de l'intérieur de son âme. Hésitation, doute, espoir, naïveté se succédait sur son jeune visage ; puis une certaine fermeté sembla reprendre le dessus, malgré des larmes invincibles à combattre dans le bouleversement biologique de son corps frêle.

Isabelle jeta un regard doux aux enfants vagissants dans leur berceau, et une vague de pure gentillesse se refléta brusquement dans ses yeux ronds et verts.
Elle se redressa sur son siège, et, avec une politesse non feinte teintée d'une note plus maternelle, reprit la parole.

Oui, elle voyait bien que la prêtresse ne faisait que la mépriser ; mais elle donnerait le change, ne serait-ce que grâce à un fait irréfutable : cette dame connaissait elle aussi les drames secrets du mariage et les affres de la maternité.

-"Savez-vous quels ingrédients contient cette décoction, Dame Prêtresse ? Il existe ... certains aliments que mon corps s'obstine à rejeter, malgré tous mes efforts."

Elle garda le silence quelques secondes, puis, sans donner le temps de répondre à son interlocutrice, recommença à parler.

-"Je ne sais réellement pourquoi je suis ici. J'ai confiance en la prière, mais je me sens si... si désorientée... Ils ne veulent plus guère me laisser me lever, je dois retourner dans ma chambre. Vous n'aurez qu'à contacter une de mes suivantes pour le paiement. Oh, à propos... je vous félicite pour vos épousailles. Vos enfants ont l'air très vigoureux, et bien portants."

Isabelle de Mannach se leva, dans une posture naturellement droite qui ne laissait aucun doute sur son statut de femme sûre de ses droits et privilèges, puis hocha la tête en direction de Niniane.