Baignade au clair de lune

La nuit était tombée sur les bois, et les bois étaient baignés de lueurs blanches et claires, pâles comme une averse de rayons de lunes. Marchant en silence dans l’herbe rase, Morrigane chantonnait, pour elle même et pour l'ombre courbée des grands arbres.
Cette forêt était vieille, vieille comme la pierre et les fondements des montagnes ; depuis toujours était habitée, et c’était comme si la course du temps s’y était figée.

Errant sans but sous les arbres, ses pas la menèrent au lac, dont les flots bleutés clapotaient faiblement en projetant des reflets innombrables sur la voûte des feuillages au-dessus d’elle.

Morrigane étendit son manteau sur le parterre de mousse, dénoua son ceinturon et ôta ses bijoux qu’elle posa au creux des replis de sa cape. Délaçant son corsage, elle laissa tomber un jupon, puis deux, puis tous les autres. Sa peau blanche parcourue des longues arabesques de ses tatouages reflétait légèrement la lueur de la lune lorsqu’elle avança dans l’eau et s’y plongea entièrement, ses interminables cheveux flottant autour d’elle, glissant le long de son dos, son ventre, en courbes paresseuses agitées par le courant. Les boucles rousses flottèrent autour d’elle comme un nimbe de sang, dissimulant dans leur auréole vaporeuse la nudité de la jeune femme, vêtue de lune et des motifs qui couraient sur sa peau.

Remontant à la surface, elle resta un long moment les yeux clos, et se laissa dériver jusqu’à l’endroit le plus profond où elle n’avait plus pied. Là, elle resta en suspens, comme une fleur tombée sur l’onde d’azur léger, blancheur de givre entre deux eaux, flottant paresseusement à la dérive.
Tout doucement, elle se laissa sombrer, glissant sans effort dans les replis de l’onde, vers l’ombre qui lui tendait les bras, sous la lumière laiteuse et les arbres courbés. L’eau bleue avala sa frêle silhouette et ses cheveux rouges, son souffle léger et les bulles d’air qui éclosaient à la surface à peine troublée.

Lorsque ses pieds touchèrent le fond, elle se laissa tomber toujours plus, et se projeta soudain hors de l’eau, frissonnante, haletante, comme une apparition fantomatique surgie de nulle part.

Après un long moment, elle sortit de l’eau, et, fredonnant un air sans but, se sécha et se vêtit légèrement avant de s’asseoir sur la rive pour démêler ses cheveux trempés. La brise était fraîche et la nuit avançait tandis qu’elle chantait doucement, égrenant les paroles d’une vieille chanson au fil du va-et-vient du peigne dans ses boucles rousses.
Il y eut soudain un bruissement de pas, et elle se tut.

-Ce n’est pas bien, d’épier les dames au bain, dit-elle avec moquerie, sans même se retourner.

Kaarl avait laissé Anna avec sa mère et était partis se promener. Il ignorait pourquoi mais c'est la direction du lac qu'il avait pris.

Le besoin de nager se fit sentir en chemin et c'est ainsi qu'il laissa le cheval au loin, mais pas trop non plus, l'attacha à un arbre et se rapprocha de l'eau tout en commençant à se dévêtir... Et alors qu'il se retrouvait torse nu il entendit une voix féminine qu'il reconnut pour en avoir déjà entendu les vocalises à Warminster:

"Dame Agarwen c'est cela? Je suis Kaarl Aegirson, roi de Gaurre et des Saxons. Alors si je veux épier une dame au bain j'ai mon épouse. Je pensais seulement venir me baigner et honnêtement je ne vois pas ce que votre présence y change."

Un de ces stupides évêques auquel il avait prêté allégeance en aurait probablement fait un malaise mais Kaarl n'hésita guère à finir de se déshabiller avant de s'avancer dans l'eau pour y nager quelques brasses, sans direction ou but précis.

"Je ne crois pas que cela vous gêne non plus, non?"

Répondit le saxon, amusé, avant de nager sur le dos.

-Bien répondu, dit la jeune femme en riant.

En voilà, une rencontre bien peu protocolaire. Morrigane eut un soudain élan de sympathie pour cet homme: à la cour, une telle franchise se faisait si rare, et bien peu lui auraient répondu de la sorte.
Penchant sa jolie tête de côté pou démêler ses tresses, elle sourit et posa un regard curieux sur Kaarl.

-C'est étrange, messire; je n'imaginais pas me trouver en compagnie d'un roi, ce soir. Je dois dire que vous faites largement remonter vos semblables dans mon estime. Bien que...

Elle eut une moue amère, qui s'effaça bien vite.

-Vous devez bien être le seul à tenir ce langage aux vagabondes de ma sorte.

Son ouvrage achevé, elle noua sa chevelure sur sa nuque, profitant du vent nocturne qui courait sur l'herbe de la rive et faisait murmurer les feuillages.
Un sourire s'épanouit à nouveau sur ses lèvres et elle se leva, fit quelques pas jusqu'à l'eau qui clapotait sur les pierres, se trempant les pieds en agitant les orteils.

Rien qu'à imaginer la tête des chrétiens coincés de la cour s'ils voyaient la scène, elle ne se retenait de rire qu'à grand-peine. Elle, sauvageonne que l'on ne brûlait pas uniquement parce que Mordred la protégeait, sortant à peine d'un bain de minuit, et l'époux d'Anna des Orcades, cousine du roi, lui-même à la baignade au même moment...

Relevant son léger jupon pour avancer un peu plus dans l'eau, Morrigane ne put retenir un léger rire.

Kaarl souriait alors qu'il se baignait et puisque elle se recoiffait sur la berge, et qu'ils discutaient. Il se rapprocha un peu, restant allongé dans l'eau mais se remettant sur le ventre pour cacher son intimité à l'extravertie rouquine.

"Et moi je ne m'attendais pas à me trouver avec vous. En fait je pensais être seul. Mais venez donc vous baigner!"

Déclara Kaarl, attendant la jeune femme, sur laquelle il avait une vue à la Tarantino (je te laisse chercher le sens de cette phrase^^).
Et il sourit en remarquant qu'elle venait se baigner avec un jupon. Cela l'amusa alors:

"Un bain de minuit habillée? Je ne vous savais pas chrétienne!"

Phrase amusée dite de façon à provoquer la jeune femme car avec son jupon, c'était comme si elle se baignait nue, supposait le saxon, qui s'éloigna de la berge, de seulement une brasse ou deux.

-Moi, chrétienne? Monsieur, ne m'insultez pas, répliqua Morrigane avec une moue faussement outrée. Nous sommes ici en terre païenne, et s'il y a bien un endroit où je peux me permettre d'arrêter de jouer les petites saintes, c'est bien ici.

Elle sourit, et dans ses yeux passa une lueur de défi; en un clin d'oeil, le peu de vêtements qu'elle portait fut à nouveau jeté sur la rive, et elle avança jusqu'à avoir de l'eau au niveau de la taille.
Sa chevelure nouée révélait les nombreux tatouages qui parcouraient sa peau nue; dragons, feuillages, oiseaux fantastiques enroulaient leurs spirales sur les courbes et les arêtes saillantes de ses épaules maigrelettes. Elle se détourna un instant, juste assez longtemps pour que l'on puisse distinguer les profondes cicatrices qui zébraient son dos neigeux et qui balafraient l'image d'un corbeau aux ailes déployées. Ces déchirures violacées témoignaient d'une barbarie rendue encore plus incongrue par la délicatesse de la silhouette, et l'apparente fragilité de sa peau blanche.

Morrigane avança encore un peu et se laissa aller au fil de l'eau, qui dissimulait un peu de sa nudité dans ses replis obscurs; elle fit quelques brasses lentes, et lança un sourire narquois à Kaarl. Un sourire qui disait: je vous l'avais bien dit.
Sans pudibonderie, mais sans non plus tomber dans l'exhibition, elle se contentait de goûter quelques instants de liberté partagée, loin du carcan de la cour, des intrigues et des interdits.

-Vous manquez tant d'eau chaude et de baignoires, au château? Lança-elle d'un air espiègle, sans méchanceté aucune. J'ignorais que les princes goûtaient ce genre d'escapades...

Il y avait dans ses yeux clairs une pointe d'insolence rieuse, comme si elle se plaisait à provoquer ainsi le saxon. Après tout, ce n'était pas tout les jours qu'elle pouvait parler quasiment d'égal à égal avec un roi...

La moue outrée de Morrigane fit rire le saxon. Comme tout homme il la regarda furtivement se baigner nue mais sans y prêter beaucoup plus d'attention... Jusqu'à ce qu'il voit le tatouage et les lacération de Morrigane. Un frisson parcourut alors Kaarl. Un frisson de compassion. Il sourit alors légèrement à la seconde trace d'humour de la jeune femme et il vint nager près d'elle, mais naturellement pas trop, en partie pour ne pas se prendre de coups accidentels.

"Les princes et roy aiment ce genre d'escapade peut-être plus que quiconque à cause de leurs responsabilités. Mais..."

Kaarl hésita alors à poser la question qui le turlupinait depuis qu'il avait vu Morrigane nue.

"Qu'est-il arrivé à votre dos?"

Une vraie franchise de saxon il allait droit au but.

Morrigane baissa les yeux, et le sourire léger qu'elle arborait jusque là s'évanouit. Ses bras fins se nouèrent autour de sa poitrine, en un geste étrangement désespéré. Elle semblait plus fragile que jamais, le visage fermé, ses yeux clairs perdus dans les reflets de la lune à la surface de l'eau.

C'était une idiotie. Jamais, depuis ce qui s'était passé, elle n'avait laissé quiconque voir ces cicatrices; elle cachait cette honte, qui lui rappelait qu'elle avait un jour renié sa foi. Et cela ne semblait gêner personne outre mesure, pas même ses amants d'un soir ne s'étonnaient des excentricités de la barde royale.

-Un mauvais souvenir, murmura-elle enfin, en guise de réponse.

Elle posa sur lui un regard dur.

-On n'entre pas dans les geôles du roi sans raison, et l'on n'en ressort jamais indemne. C'est tout ce que vous avez à savoir à ce sujet.

Avec une certaine sécheresse, elle acheva sa phrase et plongea, sa fine silhouette pâle se dessinant sous la surface, jusqu'à disparaître, comme avalée par les eaux noires du lac.
Elle émergea un peu plus loin, tandis que dans les bois alentours résonnait l'écho d'un cri rauque. Un sifflement se fit entendre, et un gros corbeau se détacha des ombres pour venir se poser sur l'épaule de la barde.

Kaarl baissa les yeux, mal àl'aise, conscient qu'il aurait du se taire, avant de se reprendre. Il avait véritablement géné Morrigane et celle-c iplongea puis appela un corbeau qui vint se percher sur son épaule dénudé, à l'étonnement du roi.

Kaarl nagea alors vers Morrigane se rapprochant, conscient qu'il ne méritait pas ce regard dur, mais ne disant rien.

"Ecoutez j'en suis sincèrement désolé mais je n'y suis pour rien.
Vous vous avez abjuré votre foi pour vivre, moi pour un trône, mais nous restons paiens. Il faut que nous soyons alliés, plutôt qu'ennemi, que notre foi ne disparaisse pas."

Kaarl tendit alors sa main vers la jeune femme et la regarda gentiment: il voulait seulement l'aider.

La jeune femme sourit, avec une certaine tristesse.

Depuis combien de temps ne lui avait-on pas adressé pareils mots? Depuis combien d'années? Il y avait si peu de païens à la cour, tant de servants du nazaréen, qu'elle était plus accoutumée aux critiques et aux sermons qu'à cela. Lui semblait prisonnier autant qu'elle, piégé derrière les barreaux de sa condition de roi, forcé à abjurer sa foi pour un mariage et pour un trône; la liberté était donc un présent si rare?

Sa main fine se posa dans celle que lui tendait le saxon et elle s'approcha, tandis que, sur son épaule, Nébu tentait de conserver un peu d'équilibre pour ne pas tomber à l'eau.

-C'est inévitable, sire. Les chrétiens brûlent et détruisent, plantent des croix partout où nous rendions un culte à nos dieux. Bientôt nous ne serons qu'une poignée, et après nous... il n'y aura plus personne pour perpétuer ces traditions. Ceux qui étaient nos amis hier, nous promettent l'enfer aujourd'hui. Alors oui, derniers que nous sommes, c'est bien le moins que nous puissions faire.

Mais il y avait ces marques... Ces cicatrices maudites qui lui rappelaient à chaque instant qu'elle avait trahi, trahi ses dieux et ses semblables, renié une partie d'elle même pour sauver sa peau.

-Si j'avais eu un tant soi peu d'honneur ou de fierté, murmura-elle plus pour elle-même que pour Kaarl; je serais morte avec ma foi plutôt que vivante avec cette honte.

Kaarl prit la main de la barde dans les siennes puis porta une main sur la joue de la jeune femme. Il voulait l'aider, la consoler. Mais pour consoler une jeune femme, Kaarl était aussi doué qu'un paralytique devant opérer quelqu'un de la cataracte avec un crucifix...

"Morrigane, vous avez fais ce qu'il falait. Les morts n'honorent pas leur foi. Nos dieux tirent leur puissance des vivants, pas des morts. Les morts leur tiennes seulement compagnie."

Dit-il d'une voix nostalgique. Ayant encore pied, il était debout et pensant que Morrigane aimerait pleurer sur son épaule, il l'attira doucement à lui avant de s'interrompre en plein geste: il venait de se souvenir qu'ils étaient nus et ignorait comment Morrigane réagirait alors il préféra laisser le choix à Morrigane, si elle souhaitait, ou non, pleurer.

La jeune femme baissa les yeux, le coeur serré par la même tristesse chaque fois qu'elle repensait à tout cela; la nostalgie d'un temps pas si ancien où elle pouvait à loisir vivre de la façon dont elle voulait, sans que quiconque ne veuille lui couper les ailes en faire d'elle un petit animal bien dressé.
Ses paupières se fermèrent sur quelques larmes qu'elle se refusa à laisser couler. La fierté, encore et toujours... Même face à quelqu'un qui semblait la comprendre bien mieux que quiconque, elle refusait de se laisser aller à avouer cette faiblesse qui lui crevait le coeur.

Morrigane sourit à nouveau, ses yeux pâles voilés par une étrange mélancolie.

-Vous avez raison, une fois de plus, soupira-elle.

Un silence passa, et elle dénoua ses cheveux, les laissant cascader en lourdes boucles mouillées, se perdant dans les remous de l'eau comme les brins d'une algue féérique. Nébu s'agita, se pencha sur la surface troublée pour boire un peu, avant de se redresser pour fixer Kaarl d'un regard peu amène.

Pensive, la jeune femme passa une main dans le plumage sombre de l'oiseau, les yeux dans le vague. Enfin, elle sembla se rappeler que quelqu'un d'autre était présent, et eut un sourire vaguement gêné.

-Pardonnez-moi, monseigneur; je crains de pas être d'une très agréable compagnie, ce soir. Je pense que vous êtes venus chercher ici autre chose que les larmes et les chagrins d'une bohémienne...

Son sourire s'élargit, chassant les ondées mélancoliques dans son regard d'eau claire, et elle s'immergea jusqu'au cou, tandis que Nébu voletait de-ci de-là, cherchant un endroit où se poser.

Kaarl releva le menton de Maeve et lui sourit tendrement, avant de se glisser derrière elle, l'aidant à dénouer ses cheveux.

"C'est gentil de dire que j'ai raison."

Kaar sourit et commença à masser la nuque et les épaules de la bohémienne avec douceur. Il avançait à l'instant, sans préméditation, se surprenant lui même.

"Vous êtes pardonnez et vous êtes d'agréable compagnie. Et puis je suis venu chercher de l'eau, vos larmes sont de l'eau."

Et Kaarl essuya la seule larme qui restait sur le visage de Morrigane alors qu'elle s'immergeait jusqu'au cou.

[hey mec tu confond x) maeve c'est pas elle ^^]

Un peu surprise, Morrigane se laissa faire, les yeux clos, un léger sourire flottant sur ses lèvres fines. Les mains du roi, bien que visiblement plus accoutumées au maniement d'une arme qu'au contact de la peau d'une femme, avaient des gestes d'une surprenante douceur. Son mariage avec la princesse des Orcades avait été profitable, semblait-il...
Ce que Morrigane ne manqua pas de lui faire remarquer, avec cette moquerie espiègle qui amusait tant Mordred, mais qui hérissait le poil de nombre de nobles de la cour.

-J'ignorais que les saxons eussent les mains si douces, dit-elle à voix basse. Ou peut être bien que dame Anna a eu sur vous une influence que l'on ignore...

Elle laissa échapper un petit rire, puis poussa un soupir d'aise, flottant entre deux eaux, son interminable chevelure rousse flottant autour d'elle comme un nimbe sanglant perlé d'or.
La jeune femme fredonna une chanson, égrenant quelques mots à mi-voix, comme perdue sur les chemins d'une étrange rêverie.

HJ: Lapsus^^ Comme je joue aussi avec Maeve^^

Kaarl sourit en sentant le plaisir de Morrigane. Puis il rit avec elle en venant nager à ses côtés, et répondit:

"Elle m'a appris la sensualité. Je lui ai appris à aimer l'amour à la saxonne. Et on ne sait trop qui influence qui."

Kaarl regarda la jeune femme qu'il trouvait de plus en plus séduisante. Et il lui caressa les cheveux. Quelque chose chez la bohémienne semblait comme l'intimider. Il se demandait pourquoi. Mais il était content qu'il ne soit pas possible de voire sous l'eau.

"Et vous? Votre "éducation"?

-Je vois, dit-elle avec un sourire mutin.

Elle fit quelques brasses, et son sourire se fit plus hésitant lorsqu'il posa la question.

-Je vous trouve bien curieux, sire... Mais pour répondre à votre question, je vous laisse imaginer quelle peut être "l'éducation" comme vous dites, de quelqu'un qui passe sa vie sur les routes... Beaucoup confondent une femme libre et et une fille de joie, bien que j'avoue que mon comportement a parfois laissé planer le doute sur ma profession.

Elle baissa les yeux, comme gênée par sa propre confession. Mais elle ne faisait que dire à haute voix ce que beaucoup pensaient et murmuraient dans son dos... Notamment un certain Lancelot, à Camelot, qui pensait sincèrement qu'elle se prostituait, mais ce n'était pas le premier, et certainement pas le dernier.

-J'ai connu beaucoup d'amants, mais que ce soit eux ou moi, cela n'a jamais duré plus de quelques jours. Quels qu'ils soient, les chaînes et les barreaux m'insupportent.

Kaarl remarqua qu'il était plus maladroit et attira la jeune femme à lui.

"Je ne vous ai jamais considéré comme une fille de joie. Et croyez vous qu'Anna est la première femme que je touche?."

Demanda alors Kaarl. Il releva le menton de Morrigane et lui sourit tendrement.

"Tête haute. Soyez fière de ce que vous êtes. Mon amie. D'accord? "

Kaarl eut envie d'embrasser Morrigane mais repoussa l'idée: ça aurait été faire le contraire de ce qu'il disait, Elle n'était pas une fille de joie et il voulait le lui montrer en la traitant en amie.

Morrigane ne put s'empêcher de rire lorsqu'il lui releva la tête. De la fierté, elle en avait à revendre, mais il fallait avouer qu'elle n'était pas toujours bien placée. N'était-ce pas cette même fierté qui l'avait menée droit aux cachots?

-Très bien, sire; je n'oublierai pas, dit-elle en souriant.

La jeune femme le fixa dans les yeux, l'opale aquatique de son regard posée sur le regard farouche du saxon. Ils se ressemblaient, bien plus que l'on ne pouvait le croire au premier abord, enfants d'une terre païenne que les servants du nazaréen avaient dévastée.

-C'est bien la première fois que je traite d'égale à égal avec un roi, et que celui-ci me considère comme amie et non comme animal de compagnie.. Voilà une étrange expérience, reprit-elle, avec un sourire amusé.

Cela aurait été injuste de dire que c'était ainsi que la considérait Mordred, car tous deux savaient bien quelle affection réciproque les liait. Elle savait pourtant fort bien que jamais le roi d'Orcanie n'aurait avec elle cette franchise dont Kaarl faisait preuve; jamais elle ne serait sur un pied d'égalité avec Mordred, ce qui avait été le cas avec le saxon dès l'instant où ils s'étaient rencontrés.

Kaarl sourit aux propos de la païenne et, sans s'en rendre compte, l'enlaça amicalement. Il passa une main dans la rousse chevelure et déclara alors:

"Voyons! Je ne tiens pas chrétienne d'épouse ne porte pas de laisse alors vous encore moins!"

Plaisanta Kaarl. Il sourit à la barde et déclara alors:

"Aucun chrétien ne pourrait vous dompter."

Déclara tendrement le saxon. Il réfléchit alors.

"Pourriez vous chanter pour moi?"

-Aucun chrétien? Soit... Murmura-elle.

N'étais-ce pas déjà le cas avec Mordred? Avec l'ancien évêque Florin? Mais ce n'était pas le moment d'y songer. Chassant au loin ses pensées noires, elle sourit, et se laissa entraîner dans les bras du saxon.

-Je chanterai avec joie, sire. On m'avait apprit quelques chansons de votre pays, lorsque j'y étais venue. Bien que la mémoire me fasse défaut, je tâcherait de m'en souvenir au mieux...

Elle ferma les yeux un instant, pour mieux se rappeler des paroles; de longs instants s'écoulèrent, avant que sa voix douce ne brise le silence.
La musique solitaire de ses mots s'éleva, prenant de l'ampleur à chaque minute, comme un oiseau prenant son envol; un chant ancien, vieux comme les pierres, dans l'ancienne langue des saxons.
La mélodie était simple et douce, un peu nostalgique, mêlant étroitement la tristesse la plus poignante aux espoirs sans fin; elle racontait la terre, la mer et les cieux tourmentés, l'âme ancienne des pays du nord et leurs paysages sauvages.

Ses mots, dont les syllabes étaient écorchées par cet étrange accent venu de nulle part, racontaient le vent, la lande, les oiseaux dans les branchages et les grandes nuits pleines d'étoiles et de murmures; le ciel infini constellé de nuages et de rêves, couché comme un endormi sur la mousse des sous-bois, la verdure des plaines et la chevelure d'or des blés murs.

Et l'espace d'un moment, la nuit se referma sur eux, les isolant du monde. Il n'y avait plus qu'eux, au creux des eaux sombres d'un lac sacré, entouré de la foule murmurante des arbres de la forêt, baignés par la lumière blanche de la lune. Ce furent des instants d'autre monde, lueurs pâles et ombres immenses, dans la douceur de l'air nocturne; des instants qui semblèrent infinis, tandis que la petite barde aux pieds écorchés chantait, les yeux clos, chantait pour eux, pour lui, contant les souvenirs d'une terre qu'il avait quittée.

Et puis, lentement, la voix claire de la jeune femme décrût pour se taire, imperceptiblement, noyée dans les murmures du vent dans les arbres. Ses paupières se soulevèrent lentement, et elle sourit, un peu timidement.

-Finalement, je m'en souvenais, de cette chanson, dit-elle doucement.

Kaarl ferma les yeux et savoura la chanson, tranquillement, tout en enlaçant Anna.
Pendant un moment il revit son enfance, ses conquêtes, ses victoires. Les femmes qu'il avait séduit, les guerriers qu'il avait vaincu, ses parents, ses amis, morts ou vifs.

"Magnifique. Je...."

Kaarl était ému. Que dire? Rien. Il posa ses lèvres sur le front de Morrigane, et la serra contre lui, ne disant rien.

Que pouvaient-ils dire? Morrigane ne dit pas un mot de plus, la tête posée au creux de l'épaule du saxon, écoutant battre leurs coeurs dans le silence de la nuit.
Ombre et clair de lune, les couleurs s'étaient enfuies; bleu, noir, blanc et argent s'émaillaient en palettes ravivées par la lumière incertaine, tandis que l'astre qui se reflétait sur les eaux sombres du lac projetait des millions d'éclats scintillants aux alentours.

Le vent soufflait, courbant les branchages, arrachant aux brindilles quelques feuilles qui s'envolaient. La nuit s'était tue, et rien d'autre ne semblait exister, ni aube ni lendemain, pas même un autre monde au-delà des bois et des broussailles. Il n'y avait que le lac endormi, la forêt autour d'eux, et la barde et le roi, tendrement enlacés.

Le cœur de Morrigane se serra, mais elle ne dit mot, ne voulant pas risquer de rompre le charme. Trop d'instants de la sorte s'étaient envolés, perdus, dilués dans sa mémoire; trop de fois on l'avait laissée là, comme une marguerite effeuillée qui aurait perdu tous ses charmes aux yeux de celui qui la désirait.
Elle ferma les yeux, priant pour que le temps s'arrête que ce moment se perde dans l'infini... Là, dans les bras d'un homme qu'elle connaissait à peine, elle se prit à rêver, doucement, à d'impossibles amours qui dureraient plus longtemps que l'espace d'une nuit....

Mais pourquoi en serait-il autrement, cette fois-là? Tout se passait exactement de la même manière... Et sitôt le fruit consommé, il la laisserait, rejoindrait sa femme ou une autre, et il ne lui resterait qu'à se perdre à nouveau dans les bras d'un autre..

Kaarl tenait fort Morrigane et lui caressait les épaules, lorsqu'il se rendit compte qu'il allait peut-être loin. Après tout, tous deux étaient nus. Kaarl réfléchit alors et inspira profondément.

"Aucun de nous ne veut seulement une histoire d'un soir. Je me trompe?"

Murmura Kaarl en relevant le menton de la belle bohémienne. Il lui caressait la nuque de son autre main. Kaarl se demandait ou lui même voulait en venir, mais son cœur s'accélérait en présence de Morrigane.

"De plus je suis heureux en ménage... Et pourtant.. Je ne sais quoi me manque.Ou du moins, je ne savais quoi jusqu'à ce soir. Je... Je n'arrive pas à me satisfaire d'une chrétienne et je...."

Kaarl rougissait et était gêné. Il n'était pas doué pour exprimer ses émotions. Morrigane devinait-elle ce que Kaarl voulait lui demander?

Morrigane eut un sourire triste et s'écarta de quelques pas.

-Quoi que vous disiez, cela ne changera pas ce qui va se passer.

Tout recommençait... Des dizaines de fois, le même scénario s'était joué, indéfiniment, avec la même fin. Quelles que soient les paroles, rien ne durait vraiment, et d'un côté ou de l'autre, il en fallait toujours un pour y mettre fin.

-Cela viendra de vous, ou de moi. Et cela ne restera qu'une aventure d'un soir. Vous verrez... Dès que l'on obtient ce que l'on désire, la chose perd soudain tout son intérêt.

Son regard s'était fait dur, et sa voix avait une froideur qui ne lui ressemblait pas. Elle semblait extrêmement calme, mais ce n'était qu'une façade, dissimulant ce qu'elle ressentait réellement. Se perdre, encore, dans les bras d'un quasi-inconnu; la tentation était toujours grande, mais toujours elle en payait le prix, et cela tôt ou tard...
Ne pas souffrir encore, ne plus regretter.

Kaarl soupira, et regarda Morrigane. Et déclara, alors que la lune passait derrière un nuage:

"Je veux faire de vous ma maîtresse. La seule et unique, et je subviendrai à vos besoins. Et si cela reste une aventure d'un soir, ce ne sera pas ma faute."

A ces mots, Kaarl leva le menton de Morrigane et, le cœur battant la chamade, presque timidement, joignit ses lèvres à celles de l'artiste.
Un goût délicieux, promesse de plaisirs futurs et l'étreinte de Kaarl se fit plus possessive, bien que tendre.

Au même moment, la lune cessa de jouer à cache cache avec les nuages.

[je te préviens maintenant, je suis pas du tout douée pour le rpcul, alors on va rester très soft ^^ huhu]

Il s'en était fallu d'un souffle, d'un geste... Et la jeune femme se sentit céder, tandis que sa raison se voyait étouffée par le feu qui courait dans ses veines, faisait battre son cœur et répandait en elle des rivières ardentes. De belles paroles, encore, de douces promesses qui résonnaient en elle avec un écho douloureux, celui des tendres serment d'un soir que tant d'hommes avaient prononcé pour elle.

Et, tandis qu'il l'embrassait, Morrigane eut l'impression de se laisser enfermer, mettre la bride au cou. Sa maîtresse? Subvenir à ses besoins? Elle n'en voulait pas. Elle ne voulait que la liberté, la liberté d'aimer et de désirer, et de nouveau sentir le goût de ses lèvres.

Dieux, que les chrétiens avaient raison de craindre le pouvoir de la chair sur la raison... Même si les paroles de Kaarl n'étaient que des mots en l'air, elle voulait y croire, y croire encore et encore pour ne plus sentir cette pointe de souffrance qui perçait son cœur, pour oublier ces souvenirs d'aubes larmoyantes et de fuites éperdues, pour oublier, tout simplement... Et se perdre une fois encore.
Elle se blottit contre lui, au creux de son épaule puissante où brûlaient les cicatrices brunes de ses blessures de guerre; ses mains à elle couraient le long des lignes et des courbes, suivant le roulement de ses muscles sous la peau de son amant, comme cherchant un chemin pour le paradis.

» Une lune d'ambre